L’entraide, l’autre loi de la jungle

SERVIGNE Pablo et CHAPELLE Gauthier, Ed. L.L.L., 2017, 382 p.

Les deux auteurs, ingénieur agronome et docteur en biologie, ont tricoté leur discipline avec l’éthologie, l’anthropologie, l’économie, la psychologie, la sociologie et les neurosciences, afin de nous dresser le tableau de la connaissance scientifique portant sur la nature coopérative de l’espèce humaine. La compétition semble dominer notre société, comme elle est supposée le faire tant chez les plantes que chez les animaux. Partout, s’imposeraient la loi du plus fort et celle de la jungle, la guerre de tous contre tous. Si tel est bien le fonctionnement d’une partie du vivant, l’association gagnant/gagnant grouille pourtant dans toutes les espèces. La raison en est simple : les organismes qui s’entraident sont ceux qui survivent le mieux, d’autant plus quand les conditions sont extrêmes. On distingue cinq formes de cohabitation. Il y a bien sûr la compétition sur un même territoire (qui entraîne des confrontations mortelles), la prédation (l’un étant la proie de l’autre) et le parasitisme (l’un vivant aux dépends de l’autre). Mais, on trouve tout autant sinon plus le commensalisme (même source alimentaire, sans rivalité), la co-existence (voisinage sans nuisance réciproque) et le mutualisme ou la symbiose (chacun étant mutuellement bénéfique à l’autre). Les humains cumulent les registres. Ils savent tricher, voler, mentir et tuer avec constance et insistance, comme aucune autre espèce vivante. Mais, contrairement à cette fiction totalement imaginaire d’un hominidé qui serait totalement rationnel, passant son temps  à maximiser les profits qu’il peut tirer de son action, leurs comportements sont fréquemment pro sociaux. Ils sont dotés d’un bagage génétique ultra sensible à la socialité qui s’épanouit dans un environnement coopératif, mais se rétracte dans un contexte éducatif et sociétal égoïste. Pour autant, s’associer n’est pas toujours bien en tant que tel. Quand, par exemple, le soi se dissout dans une relation de dépendance. Quand cela nous pousse à nous recroqueviller sur notre groupe d’appartenance. Quand le collectif se solidarise contre un ennemi à abattre. L’entraide au sein de tout société constitue donc un équilibre fragile qui peut basculer à tout moment. Les capacités d’altruisme et de cruauté sont parfois concomitantes. Mais, elles peuvent aussi se succéder dans l’histoire, s’imposant l’une après l’autre. Si l’entraide favorise l’abondance, de la profusion naît l’égoïsme. Et l’individualisme débridé provoque le délitement, la pénurie poussant à l’entraide. Peut-être ne sommes-nous pas condamnés à reproduire éternellement ce cycle ?

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1231/1233 ■ 04/07/2018